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Plat de Ndolé camerounais accompagné de bananes plantains et de bâtons de manioc. Copyright Nathan-Josias (Livekindly)

À Dakar, fini les temps où l’on se sentait complètement dépaysé au niveau culinaire lorsqu’on posait ses valises. Il y a une dizaine d’années, en effet, le ressortissant africain qui foulait le sol du pays de la Téranga peinait à trouver des ingrédients rentrant dans la préparation des mets venant de chez lui.

Seuls les privilégiés pouvaient se targuer de manger régulièrement un bon plat d’attiéké (couscous de manioc de Côte d’Ivoire) au poisson , du ndolé (plat à base de feuilles de verone consommé en grande partie au Cameroun) , du dokounou (purée de maïs) ou encore de l’Akoumé (pâte à base de céréales locales). Un luxe qui était réservé aux Africains travaillant dans des organisations sous-régionales comme la BCEAO, l’ASECNA et d’autres institutions internationales.

Avec une liberté de déplacement, ils avaient le privilège de faire venir tout ce qu’ils désiraient, ou de se rendre dans les rares restaurants de l’époque offrant des mets africains à prix d’or. Les adresses telles que OBV, le Trofêt, le Bazzoff ou encore le Zaouli, nichées dans les quartiers chics de Dakar, étaient les repaires de l’élite.

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Plat d’attiéké au poisson braisé. Copyright Noelia’s Cooking

Dakar

En outre, à l’exception des Guinéens, qui forment la communauté la plus nombreuse et disposent donc d’un réseau bien établi, les « gnacs » (terme polémique désignant une partie des Africains vivant au Sénégal) rencontraient encore des difficultés il y a une décennie pour se nourrir comme dans leur pays d’origine.

Mais les choses ont changé. Aujourd’hui, à Dakar, il est aussi facile de trouver un plat ivoirien foutou sauce graine que de déguster un ceebu jën (met emblématique du Sénégal récemment inscrit au patrimoine immatériel de l’UNESCO). Et ce, à des prix accessibles pour tous les budgets.

Dans les quartiers populaires de Fass et Médina par exemple, les restaurants ivoiriens Le Moayé, chez Sarah, Filo Gastro et bien d’autres, se livrent, dans un périmètre restreint une bataille pour attirer les clients, en proposant une cuisine qui se veut aussi authentique que celle préparée au pays d’origine.

Ce samedi après-midi, une ambiance joviale règne chez Filo Gastro. L’établissement culinaire est situé en sur une grande artère, à quelques minutes du marché de Fass. Même à l’extérieur du restaurant, l’odeur alléchante du poisson thon en train de frire transporte instantanément à Abidjan. Ce qui promet une délicieuse dégustation de garba. Les couleurs orange, blanc et vert sur l’enseigne du lieu évoquent également la Côte d’Ivoire, bien que la fréquentation de cet endroit ne se limite pas aux seuls ressortissants ivoiriens.

Des jeunes gens discutent attablés éclatent de rire, juste à l’entrée. Mais les discussions sont plus audibles dans une autre salle du restaurant. Et pour cause :  dans cette salle à manger, une télé installée transmet un match de Premier League anglaise. Les clients du restaurant sont autant concentrés sur le match de foot transmis sur la télé que sur leurs plats, se tenant la tête pour une action de jeu pas concrétisée tout en ayant la cuillère bien remplie.  

Albert, 28 ans, Congolais d’origine et habitant du quartier, fréquente régulièrement ce restaurant. Étudiant en management dans une université privée de Dakar, il en a fait son adresse favorite. Perché derrière ses lunettes avec une chemise blanche, et pantalon noir, il lance : « Même si ce n’est pas un restaurant congolais, ici au moins je peux manger des pâtes du pays avec des feuilles. Je peux aussi socialiser avec d’autres compatriotes. » Son plat favori, les pâtes avec des feuilles, lui revient à 1.500 frs CFA, soit environ 2,30 euros. Lorsque je lui demande s’il consomme les plats sénégalais, sa réponse est claire : « Je peux dire que je mange très rarement la cuisine sénégalaise. Moi je suis allergique au riz et presque tout ici est à base de riz ».

Plat de saka saka, une nourriture à base de feuilles
Saka saka accompagné de frites de bananes plantains et de riz. muriellebanackissa.com

Pour les Congolais aisés en quête d’une expérience gastronomique raffinée, le Yoka Lounge, niché aux Almadies, le quartier le plus huppé et tendance de Dakar, est une destination incontournable. Perché sur le point le plus occidental de l’Afrique, cet établissement qui a ouvert début 2023, offre un éventail exquis de saveurs congolaises, allant du Saka Saka, des feuilles de manioc mijotées à la congolaise, au Maboke, un poisson frais cuit à l’étouffée, en passant par un plat de Chenilles à la sauce arachide.

Vous pourrez également déguster un délicieux Bouillon sauvage agrémenté de poisson fumé et de crevettes séchées, le tout dans une atmosphère envoûtante bercée par le son des vagues et la rumba des artistes qui se produisent régulièrement. Les prix des plats varient de 5000 frs CFA (environ 7 euros) à 30.000 frs CFA (45 euros) offrant ainsi une expérience culinaire exclusive et mémorable.

Qualité et authenticité garanties

Mais la qualité des plats africains est-elle à la hauteur de ceux préparés dans les pays d’origine ? « Absolument », assure avec conviction un jeune Camerounais qui m’apporte à la maison un succulent poulet DG, accompagné d’un mélange irrésistible de frites de plantains, de légumes et d’épices. « Ce sont nos sœurs camerounaises qui cuisinent. Certaines d’entre elles dirigeaient même des restaurants au Cameroun avant de s’installer ici », affirme le livreur avec assurance.

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Le poulet DG (Directeur Général) a vu le jour dans les années 80, étant alors un plat réservé aux personnes occupant des postes importants. Copyright : cookpad.com

Je dois avouer que le poulet DG que j’ai dégusté n’avait rien à envier à ceux savourés lors de mes séjours dans les quartier animé de Tsinga à Yaoundé ou celui de Logbessou à Douala.

Pour s’assurer de la qualité et de l’acheminement des ingrédients, plusieurs restauratrices font appel à des GPs, des postiers informels. Le transport de colis et marchandises via des GPs s’est extrêmement développé ces dernières années.

L’Afrique de l’Ouest domine

Si Camerounais et Congolais y trouvent leur compte, la majorité des restaurants africains sont tenus par des ressortissants de l’Afrique de l’Ouest.

C’est ce que j’ai pu constater à Ouakam, quartier populaire situé dans le Nord de Dakar et notamment lieu de naissance de l’écrivain Birago Diop ou encore des femmes politiques françaises Ségolène Royal et Rama Yade. Ici on ne compte plus les restaurants africains. Parmi les plus connus : Chez Tata Viviane. Originaire du Togo, son restaurant accueille Togolais, Béninois et autres Africains.

Facade d'un restaurant togolais à Dakar
Façade du restaurant « Chez Tata Viviane » à Ouakam, cité avion. Copyright : Dakaroiseries

Sauce feuille d’Adémê accompagnée d’ablo (galette de maïs cuite à la vapeur), Ayimolou (riz cuit avec des haricots noirs, généralement accompagné d’œuf dur), sauce claire accompagnée de viande de chèvre, ou encore l’Akoumé : le menu proposé est riche et varié. Devant ces délices, Alice, 26 ans, se trouve face à un choix difficile.

« Comme hier j’avais pris une soupe, je vais opter pour l’ayimolou aujourd’hui », déclare-t-elle, confortablement installée à l’une des quatre tables de ce charmant restaurant. Arrivée au Sénégal en 2020 pour des études en transport logistique, Alice a fini par embrasser le métier de coiffeuse. Elle m’explique qu’elle n’a aucun mal à trouver des plats typiques de son pays, grâce à plusieurs compatriotes qui préparent des repas chez elles et assurent la livraison à domicile.

Dans le quartier de Ouakam, les restaurants ivoiriens, béninois et togolais abondent, reflétant la diversité culinaire de l’Afrique de l’Ouest. Cette prolifération de restaurants ouest-africains témoigne également de l’essor démographique des ressortissants de la sous-région à Dakar. En effet, en 2019, la ville comptait officiellement 44 000 résidents ouest-africains, représentant 75% de la population étrangère, selon l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie.  Ce nombre a sûrement doublé depuis, alimentant ainsi la prédominance des restaurants tenus par des Ouest-Africains.

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Capture d’écran : page Facebook du restaurant Akwaba, situé à Ouakam.

L’Ascension de l’Attiéké : Une Success-Story Culinaire au Sénégal

L’attiéké, cette délicieuse semoule de manioc venue tout droit de la Côte d’Ivoire, a conquis peu à peu le cœur des Sénégalais.  Sa popularité dépasse de loin ce qu’elle était il y a seulement une décennie. Les supermarchés regorgent de paquets d’attiéké congelé, prêt à être dégusté à tout moment. Il s’invite même aux tables des réceptions organisées par les Sénégalais, offrant une alternative aux accompagnements traditionnels. Il existe même un festival annuel dédié à l’attiéké, témoignant de son importance grandissante dans la culture culinaire du pays.

Dans les restaurants, l’attiéké fait désormais partie des incontournables accompagnements, aux côtés des classiques frites de pommes de terre, légumes sautées et des salades. Et comment ne pas mentionner les célèbres frites de bananes plantain, l’alloco, qui fait partie des accompagnements également ? Cette ascension fulgurante de l’attiéké pourrait bien être due à sa ressemblance avec le thiéré (couscous local à base de mil) ou encore le couscous marocain, des mets déjà chers aux papilles des habitants. Mais peut-être que les séries télévisées, telles que « Ma Famille », ont également joué un rôle dans cette révolution culinaire. Les personnages hauts en couleur de Gohou Michel, Akissi Delta et Michel Bohiri continuent de résonner dans les foyers sénégalais, rappelant le pouvoir du cinéma à influencer nos perceptions et à inspirer le changement, comme le soulignait si bien Ava DuVernay.

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